Qu’est-ce qu’un fait ?
Qu’est-ce qu’un fait ?
Il y a de nombreuses années, j’ai assisté à un concert du groupe japonais Kodo. Ce concert m’a profondément bouleversée. Je voyais, j’entendais des gens qui, me semblait-il, allaient jusqu’au bout d’eux-mêmes. Lorsque j’ai su comment ils avaient choisi de vivre, j’ai compris que c’était vrai : ils allaient jusqu’au bout d’eux-mêmes. Comme transparents dans cet enracinement total que demandait la pratique de leurs instruments, ils permettaient à l’ultime d’être perçu.
Tout cela résonnait très fort avec cette impulsion, cette direction que je percevais en moi. Aller au bout de moi-même.
Je ne vivais pas en ascète sur une île japonaise. Comment cela pouvait-il être possible dans une vie quotidienne banale (je veux dire, sans gravir l’Everest, sans jouer à la perfection d’un instrument de musique etc ….), une vie où on travaille, on s’occupe des enfants, on va faire les courses …?
En rencontrant la Technique de la Métamorphose, j’ai su que c’était possible.
D’une façon très simple : rester avec les faits. La transformation concerne nos propres faits. Exemple : deux voitures entrent en collision, c’est une situation, un fait qui ne peut se transformer, par contre, ma réaction émotionnelle est mon fait et ma source d’énergie. Rester avec ce que je suis en ce moment même, en notant le fait, en le constatant, en le laissant être. Une façon très simple et naturelle de suivre cette impulsion. Cela ne dépendait donc que de moi, le seul obstacle possible ne pouvait venir que de moi. Quand j’ai entendu, au début d’un atelier, Gaston Saint-Pierre dire: « Si vous n’êtes pas là pour vous, vous pouvez partir ! », j’ai su que j’étais au bon endroit.
Mais qu’est-ce qu’un fait ?
Dans le contexte de la Technique de la Métamorphose, c’est quelque chose de très précis, une manifestation d’énergie (un mal de tête, une joie, une colère), une vibration particulière, une convergence de forces, une source d’énergie à notre disposition.
Tout fait est subjectif dans la mesure où il dépend de la perception : une chaise sera perçue différemment par la fourmi qui se promène dans la cour, l’oiseau qui traverse le jardin ou l’enfant qui vient s’asseoir pour goûter.
Noter le fait, le constater, le laisser être : détachement en pratique. Dans le détachement, il y a une volonté constamment renouvelée de laisser le fait être. Nous sommes totalement impliqués avec l’attention, jeu de la conscience et de la perception qui guide vers l’action. C’est un détachement qui est engagement mais non identification.
Que sont les faits ?
Tout fait est une source de pouvoir. Que ce soit le fait de la sclérose en plaques, que ce soit le fait d’un sentiment d’envie, que ce soit le fait d’un sentiment de bonheur. C’est une source d’énergie à notre disposition. Le mental, immédiatement, fait des catégories. Dit : Ah ! Ça c’est bien, ça ce n’est pas bien. Alors, c’est comme ça que le mental annexe l’énergie de ces choses.
Ici, on reste avec les faits, sans jugement.
Gaston Saint-Pierre, Sion, 2010
J’ai donc compris qu’en restant avec mes faits, en laissant être, la nourriture était inépuisable. Et je percevais également qu’en étant attentive à mes faits, au niveau du « être », j’avais la possibilité non seulement d’aller au bout de moi-même mais de découvrir ce que je suis derrière qui je suis aujourd’hui. C’était et c’est passionnant.
Tout est nourriture ! La nausée, le bonheur d’entendre le merle, l’agacement provoqué par mot, un article, la tristesse, la joie, la faim, le verre de vin, l’horreur devant la guerre…
Le fait est conscience et perception et reflète mon niveau de conscience. Et c’est là que je mesure toute la richesse de cette approche. Exemple : « je » lis ou « j »’entends quelque chose. Il y a perception et interprétation selon mon niveau de conscience. Supposons que ce qui est lu ou entendu provoque de l’agacement, de la colère ou du bien-être. La dynamique entre en jeu. Il y a attention à ce qui se passe, noter, constater, laisser être… Avec le temps, ces différentes phases se font sans mots, mais il y en a la perception physique dans une sensation d’ouverture, de non impatience du mental qui attend tranquillement ce qui va émerger. C’est cela que je sens être « aller au bout de moi-même ». C’est une sensation très physique. Comme une perception du contact, du point de rencontre dualité (dans le temps, l’espace, la matière)-unité(hors du temps, de l’espace, de la matière). Alors, en écrivant cela, il me semble qu’aller au bout de soi-même, c’est tout simplement rester complètement dans la maison de son être, l’habiter, la découvrir au fur et à mesure des transformations.
Ici (dans les ateliers), on se rend compte de l’importance d’entrer dans la maison de son être et d’y habiter.
Gaston Saint-Pierre. Sion 2010
Janick Noverraz, Switzerland
laurore.meta@gmail.com