Rencontre
Il a plu. La porte est ouverte. La menthe, éloignée du romarin, reprend vie. En bas, les moineaux piaillent à la terrasse du café. Un enfant traverse la place en trottinette. Il fait doux. C’est un samedi après-midi. Un samedi de juillet.
Je trie des notes. Sur un fragment de papier, Krishnamurti. « En chacun d’entre nous repose le monde entier et si vous savez comment regarder et apprendre, alors la porte est devant vous et vous en possédez la clé. Personne sur terre ne peut vous donner ni la clé ni la porte à ouvrir, excepté vous-mêmes. » (You are the world)
Une clé ? Une porte à ouvrir ? Pour aller où ? Pour découvrir quoi ?
Quel étrange destin que celui des humains. Souvent toute une vie à la recherche de chemins qui mènent à la Source que l’on n’a jamais quittée. Ah ! Le regard des nouveau-nés ! Le regard de « ceux qui savent encore » a dit je ne sais plus qui. L’emprunte, le souvenir encore présent qui s’estompera peu à peu.
A l’instant de la conception, il y a cette émergence d’un nouvel être, une précipitation dans le temps, l’espace, la matière. Pseudo-coupure brutale avec la Source. Changement de milieu. Passage d’un possible, d’un potentiel, à une manifestation précise. La coupure entre les deux mondes existe-t-elle ?
Quelle est la nature de la clé qui va permettre d’ouvrir la porte ? Est-il possible de retrouver, de percevoir le lien, la non-séparation ? Serait-ce, sur le plan de la conscience individuelle, le but ultime d’une vie humaine ?
Lorsque nous parlons de métamorphose, de transformation, de quoi parlons-nous ? Nous disons : « Lorsqu’il y a métamorphose, le regard porté sur le monde se transforme. » La chenille ne peut échapper au mouvement qui la conduit vers le papillon. Ce même dynamisme nous pousserait-il, de transformation en transformation, de porte en porte, vers un retour conscient à la Source ?
« Personne sur terre ne peut vous donner ni la clé ni la porte à ouvrir excepté vous-mêmes. » Mais serait-il possible d’apprendre à apprendre ? D’apprendre à regarder ? D’apprendre à être ?
La métamorphose, la transformation implique la notion d’environnement. Autour de nous, pour une chenille, cet environnement sera le cocon, pour une graine, la terre. Pour l’être humain que nous sommes, une forme d’environnement particulièrement adéquat sera présente lors d’une séance où aucune direction donnée ne vient perturber le dynamisme de la Force de vie.
Gaston Saint-Pierre encourageait à tout questionner, à ne rien laisser au repos. Bel exercice qui me pousse avec humour à me demander, après 35 ans de pratique : « Mais qu’est-ce qu’une séance de Métamorphose ? » Posés sur la balustrade du balcon, deux moineaux sont témoins du vide confus qui envahit mon cerveau. Trop d’éléments se précipitent en même temps, s’entremêlent, se tissent. Cerveau droit et cerveau gauche vont devoir collaborer ! Combiner la linéarité du mot à mot avec la globalité de l’information.
Qu’est-ce qu’une séance de Métamorphose ?
Une rencontre. Une rencontre sur différents plans. Rencontre de deux personnes. (de soi et de soi si on se donne une séance) Rencontre de deux champs énergétiques. Rencontre dans un espace catalyseur (aucune direction donnée, aucun programme, aucune attente). Grâce à cette qualité d’espace, à cet environnement, rencontre entre le manifesté et le non-manifesté, entre les notions de « dans le temps, l’espace, la matière » et « hors temps, espace, matière ». Rencontre entre « qui est la personne en ce moment » et « ce qu’elle est en potentiel ». Rencontre entre l’essence et comment cette essence se manifeste aujourd’hui.
Une petite voix me dit en se moquant gentiment : « Tu vas où l’amie comme ça ? Tu pourrais être plus concrète ? » Je vais boire un verre d’eau. Une mouche se balade sur la vitre. Les nuages sont magnifiques. Ce matin, il y a eu le marché, les fruits, le pain, les gens. La guerre, la peur, la faim aux infos, mais aussi les joies, les regards, un geste de la main. Ces manifestations de la Vie qui s’incarne de toutes les façons possibles.
« En chacun de nous repose le monde entier. » Et chacun.e d’entre nous incarne la Vie d’une façon unique.
J’incarne la Vie d’une façon unique. Ai-je une responsabilité ? Je peux vivre cette vie sans me poser de questions, comme la chenille, comme la graine. Un processus de transformation sera à l’œuvre sur un certain plan, de la conception à la mort. Je peux manger, boire, dormir, me reproduire, défendre mon territoire, les valeurs de mon clan etc… Je, je, je …
Mais quelle est la nature de ce « Je » ? De quoi est-il l’expression ?
L’être humain a cette particularité d’être conscient qu’il est conscient. C’est-à-dire que son esprit est capable de réflexivité. Il peut dire : je suis triste, je suis heureux, j’ai mal à la tête… Il est capable d’abstraction, de créer et d’utiliser des symboles. Notre fonction mentale est complexe, les neurosciences soulèvent lentement le voile. Tenons-nous en à une description très simple, à deux aspects de notre fonction mentale, ce que je nomme l’aspect contrôleur et l’aspect passeur-traducteur.
Le contrôleur est complètement immergé dans le manifesté, dans la matière. Il va s’occuper du quotidien matériel, émotionnel. Il travaille dans la linéarité : il analyse, cherche les causes. Il va trier, classer les informations, gérer, en somme. Il n’aime pas ce qui dérange ses habitudes. Il se méfie de l’inconnu. Or, une métamorphose, c’est une plongée dans l’inconnu !
Le passeur-traducteur est un pont en lien avec le non-manifesté, le monde des potentiels. Il baigne dans la globalité : il reçoit les flashs, les intuitions, il perçoit les synchronicités. Il est ouvert à l’inconnu.
Nous n’échappons ni à l’un, ni à l’autre. Et nous avons besoin des deux. Ils sont liés, tissés comme les deux brins d’ADN. Le passeur reçoit l’information, le contrôleur l’intègre dans la matière du mieux qu’il peut, avec plus ou moins de réticence. En général, lorsque l’on parle du mental, on se réfère au contrôleur qui prend trop de place et qui freine.
Alors ce « je », où se situe-t-il ? De quoi est-il l’expression ? Serait-il la manifestation de ce jeu mental ?
Surgissait la question : ai-je une responsabilité ? Dès qu’il y a perception, conscience de la danse entre qui je suis et ce que je suis en potentiel, OUI, il y a responsabilité.
Je ne peux plus ignorer ce dynamisme qui conduit la forme que je suis vers son expression la plus complète.
Ma responsabilité est d’aller avec en conscience. Freiner le moins possible. L’image du tissu, du tissage m’habite. Cette métaphore me permet une vision de la Source qui danse, joue, s’exprime, se manifeste aussi bien dans le monde de tous les potentiels que dans le monde du manifesté. La Source s’amuse, elle est arbre, humain, joie, peur, granit, galaxie etc…
Le monde des potentiels, du non-manifesté est la matrice universelle qui contient tous les possibles. Le monde de notre essence, de notre note « Mère ». Cette note chantant à chaque instant d’une façon précise, reflétant notre niveau de conscience du moment. Lorsqu’il y a métamorphose, une nouvelle harmonique se manifesterait-elle ?
Ma responsabilité, en tant qu’être conscient d’être conscient serait-elle en relation avec une décision d’être vraiment présente, d’être enracinée complètement dans cette vie ?
Ne pas freiner le dynamisme qui me conduit vers… Être comme une algue au fond de la mer, enracinée tout en étant bercée par la vague.
« Apprendre à apprendre, apprendre à regarder »
Une nouvelle fois, je suis émerveillée par le cadeau que nous a fait Gaston Saint-Pierre : sa définition du détachement dans la pratique. Noter les faits, reconnaître leur présence, les laisser être. * (Souvenons-nous, dans ce contexte, un fait est toute perception intérieure ou extérieure, donc un fait sera subjectif et légitime) Tout ce que je vis serait-il au service du processus d’incarnation ?
Non, je ne peux plus ignorer ce dynamisme qui conduit la forme que je suis vers son expression la plus complète. « Plus tu plongeras loin dans le temps, l’espace, la matière, plus l’élan sera fort vers la Source » me souffle la petite voix taquine. Cette fois, ce n’est pas moi qui ne suis pas très concrète… La Vie me propose sans cesse des situations (vécues comme agréables et/ou difficiles) que je percevrais selon mon niveau de conscience, ces perceptions, donc mes faits, seront notées, reconnues, laissées être.
« Laisser être » mystérieux sésame. Détachement, matrice d’amour. Le cœur s’emballe. Mariage entre ce que je suis dans l’instant et ce que je suis en potentiel. Processus alchimique. Le cordon ombilical avec la Source est non seulement perçu mais aussi accepté. Le contrôleur devient curieux, abandonne peu à peu ses craintes face au nouveau. C’est comme s’il devenait de plus en plus léger, de plus en plus aérien, permettant une forme de présence dense, si dense.
Ok dit la petite voix, mais qu’en est-il de la personne qui demande une séance et qui ne s’est pas posé toutes ces questions ?
Elle demande. Inconsciemment, elle recherche une qualité d’environnement, une part d’elle ne veut plus mettre de frein. Le dynamisme l’habite et la pousse.
Il nous habite et nous pousse avec persévérance, sans relâche.
Il est 18 heures. Les olives, le fromage, le vin, tout est prêt. Les amis arrivent bientôt. Il y a gratitude.
*Définition du détachement : p 32-34 dans « métamorphose, principes universels »
Janick Noverraz, Editions Aluna
Juillet 2025